Un moyen puissant... l'injonction!



Par Sylvie Lequin, avocate
Collaboration spéciale

 

L'injonction est une procédure extraordinaire, ou à tout le moins très spéciale. Que l'injonction soit déposée devant la Cour Supérieure du Québec ou devant la Cour Fédérale du Canada, qu'il s'agisse d'une affaire de brevets, de concurrence déloyale, de sollicitation de clients ou de non-respect d'une entente de confidentialité, certains critères doivent être considérés avant d'entreprendre une injonction.

Sommairement, l'injonction est un véhicule procédural qui a pour but de demander à un tribunal d'émettre une ordonnance visant à :

  • forcer une partie de faire quelque chose;
  • forcer une partie de ne pas faire quelque chose;
  • forcer une partie de cesser de faire quelque chose.

L'injonction peut viser toute personne, dont une compagnie, ses dirigeants, ses représentants et/ou ses employés. L'injonction peut être provisoire, interlocutoire et permanente.

L'injonction interlocutoire est entendue par la Cour rapidement et vise une ordonnance qui est en vigueur entre le jugement donnant droit à l'injonction et l'audition du litige entre les parties. La Cour rend donc jugement premièrement au niveau de l'injonction interlocutoire et le recours principal est entendu par le tribunal à une date ultérieure, parfois des années plus tard.

Prenons l'exemple d'un chercheur dans une entreprise, ayant signé un contrat de travail prévoyant certaines clauses de non-concurrence spécifiques, qui annonce son départ de la compagnie et son nouvel emploi chez le meilleur compétiteur de l'employeur. Par l'injonction, l'employeur pourrait immédiatement demander à la Cour d'émettre une ordonnance empêchant cet ex-employé d'aller travailler pour la concurrence en attendant l'audition du procès.

L'injonction permanente est souvent simplement une des conclusions dans une action principale. Prenons l'exemple d'un compétiteur qui viole la marque de commerce d'une entreprise. Le propriétaire de la marque pourrait prendre une action principale en violation d'une marque de commerce. Cette action aurait des conclusions en dommages et une demande d'injonction permanente visant à empêcher ce tiers à utiliser la marque. Dans ce cas, la Cour déciderait s'il y a lieu d'émettre une injonction ou non, seulement suite à l'audition au fond de la cause.

Dans des cas exceptionnels, les situations d'urgence, une injonction provisoire peut être demandée sans même que les procédures soient transmises à la partie défenderesse. Si l'injonction provisoire est accordée, celle-ci sera émise pour une durée maximale de dix jours.

En matière d'injonction provisoire et interlocutoire, il est fréquent que la Cour demande au demandeur de fournir caution pour un montant fixé par la Cour afin de garantir le paiement des frais et des dommages-intérêts qui peuvent résulter de l'octroi de l'injonction.

L'injonction étant une mesure d'intervention spéciale, elle ne sera octroyée que si les circonstances s'y prêtent et suivant une appréciation très rigoureuse des faits et de la procédure. Les divers critères donnant ensemble ouverture à une demande d'injonction sont résumé ci-après:

 

Apparence de droit
Le requérant à une demande d'injonction doit avoir une apparence de droit suffisante. Il peut vouloir faire valoir des droits prévus par la loi (par exemple, le droit à la réputation, le devoir de loyauté) ou des droits et obligations prévus par contrats (par exemple, les contrats d'emplois et les ententes de confidentialités) ou des droits de propriété intellectuelles. Par exemple, la personne qui est lésée par un compétiteur, une compagnie en démarrage, qui violerait les droits conférés par son brevet d'invention, aurait ce qu'on appel &laqno;l'apparence de droit» suffisante par son brevet dûment octroyé. Évidemment, l'apparence d'un droit suffisante n'équivaut pas au droit automatique à l'injonction. La Cour analysera les autres critères pertinents avant d'émettre une injonction.

Le requérant à une demande d'injonction doit démontrer qu'il y a une question sérieuse en droit qui devra être tranchée lors de l'audition de l'action principale. C'est souvent le cas des affaires soulevant la constitutionnalité d'une loi ou l'intérêt public.

 

Préjudice sérieux et irréparable
Une fois que le requérant a démontré qu'il a une apparence de droit suffisante pour recourir à la demande d'injonction, la Cour doit déterminer si l'injonction est nécessaire pour empêcher que ne soit causé au demandeur un préjudice sérieux et irréparable. Ce préjudice doit être clair et non-hypothétique. En effet, si la Cour détermine qu'une somme adéquate payée par le défendeur saura compenser le requérant, alors l'injonction ne sera pas ordonnée. Bref, l'injonction ne sera pas accordée si le préjudice peut être réparé par d'autres voies, par des dommages-intérêts par exemple.

Le préjudice sérieux et irréparable peut signifier des pertes financières irrécupérables (par exemple, quand le défendeur est insolvable), une perte d'achalandage, une perte de réputation et un danger pour les intérêt du demandeur à long terme. Le tribunal cherchera donc à éviter que, sans l'injonction, il ne soit créé un état de fait de nature à rendre le jugement final inefficace pour le demandeur.

 

La balance des inconvénients
Généralement, la Cour examinera la prépondérance des inconvénients. Il s'agit de déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice si l'injonction interlocutoire est accordée ou non en attendant l'audition au fond de l'action principale. Prenons l'exemple d'une entreprise qui tente d'obtenir une injonction contre un employé cadre qui a décidé de se lancer en affaires dans le même secteur d'activités et qui n'avait pas signé de contrat d'emploi (mais qui a un devoir de loyauté envers l'entreprise). Il se pourrait que la Cour, après avoir examiné les autres critères et en supposant qu'ils sont rencontrés, décide de ne pas émettre l'ordonnance puisque cela aurait pour effet d'empêcher cet employé à gagner des revenus contrairement à l'entreprise qui risquerait moins en attendant le jugement final.

Ces toujours du cas par cas, mais certaines conditions vont de soi. La personne demandant l'injonction doit avoir respecté ses propres obligations dans les circonstances : le demandeur doit avoir " les mains propres ". Aussi, le demandeur doit forcément être une personne intéressée. Il doit avoir un intérêt direct et personnel dans sa demande d'injonction. De plus, il ne doit pas y avoir un long délai entre la prise de connaissance du demandeur de la violation de ses droits et sa demande d'injonction.

Et combien ça coûte? En un seul mot - cher. C'est une façon de &laqno;frapper fort» mais tout un portefeuille peut y passer. Le travail est ardu, le temps est court et les affidavits sont nombreux et longs. Généralement, la contestation est vive.

Un pensez-y bien.


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