Les pesticides, à
tout bout de champ?
par Nathalie Ross, M.Sc.
Septembre, mois des feuilles multicolores,
des récoltes et de la cueillette de pommes. Avec la vague d'information
sur l'utilisation de cultivars modifiés génétiquement1,2
et l'utilisation massive de pesticides, on peut se demander s'il est possible
de nos jours de consommer des pommes provenant d'une culture écologique.
Qui dit vergers écologiques dit pulvérisations avec des produits
biologiques, donc une meilleure protection de la vie aquatique entourant
les vergers et surtout, une récolte de pommes exemptes de résidus
de pesticides. Le capital "environnement" est assuré par
la culture biologique mais plusieurs facteurs freinent les retombées
économiques d'une telle culture, dont la voracité des ravageurs
du pommier (Figure 1).
Résidus de pesticides mesurés mais impacts sur la santé
mal connus
Les pesticides peuvent se retrouver dans l'air, le sol et les eaux environnant
les vergers de pommiers (Encadré 1). Une étude entreprise
en 1996, à laquelle participaient des représentants de plusieurs
ministères du Québec et du Canada (MSSS, MEF, MAPAQ et Agriculture
et Agro-alimentaire Canada), a démontré que des résidus
de pesticides dérivaient vers les terrains avoisinant les vergers4.
Quoique l'étude ait conclut en un impact à court terme non
dommageable pour la santé humaine, les effets à long terme
suivant l'exposition à des pesticides chimiques demeurent mal connus.
Encadré 1 : Quelques statistiques4:
- Les vergers de pommiers se concentrent principalement dans le sud-ouest
du Québec couvrant une superficie de 8900 hectares (1 hectare =
100 x 100 m).
- En moyenne, les vergers reçoivent entre 11 et 15 applications
annuelles de pesticides (30 kg d'ingrédients actifs / hectare),
lesquels comprennent des fongicides, des insecticides et des acaricides.
- Il est estimé qu'en Montérégie, plus de 800 résidences
sont situées à moins de 30 mètres de vergers commerciaux.
- Comme exemple de dérive des pesticides sur les terrains avoisinant
les pommeraies, citons un résulat de concentration dans le sol variant
entre 13 et 21 ng/cm2 de méthidathion, mesuré en Montérégie.
Dans les politiques environnementales québécoises, il n'existe
pas encore de critère concernant la concentration en pesticides
dans les sols, sauf pour le tébuthiuron. Le MEF doit établir
ultérieurement les valeurs cibles de pesticides pour la protection
et la réhabilitation des sols5. Concernant le tébuthiuron,
un terrain contaminé à une concentration supérieure
à 50 ppm doit être décontaminé si ce dernier
s'avère à vocation résidentielle.
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L'étude visait à vérifier si les pesticides pulvérisés
étaient absorbés par des travailleurs des vergers (échantillon
= 16) de même que par les résidents des alentours (7 enfants
de pomiculteurs et 23 enfants vivant à plus de 500 m des vergers,
constituant le groupe témoin). Les vergers étudiés
étaient situés dans des municipalités de la Montérégie
: Mont Saint-Hilaire, Otterburn Park, Saint-Michel-de-Rougemont, Saint-Jean-Baptiste
et Saint-Alexandre. Les résultats de l'étude ont montré
que la concentration dans l'urine en alkylsphosphates, un dérivé
d'insecticides organochlorés, a augmenté significativement
chez les travailleurs de vergers et ce, dès le jour suivant la pulvérisation
(134 mg/g de créatine vs 24 mg/g avant la pulvérisation3).
De même, la comparaison entre les deux groupes d'enfants à
l'étude a indiqué que les enfants des pomiculteurs absorbent
six fois plus d'insecticides organochlorés que le groupe témoin
(habitant à plus de 500 m des vergers).
Nature-Action a relevé le défi biologique au Mont Saint-Bruno
Encadré 2 : Quelques mots sur Nature Action7
- Nature-Action a vu le jour en 1986 lorsqu'un groupe de citoyens formant
l'organisme, préoccupés par l'usage abusif de pesticides
en milieu urbain, entama des démarches auprès des gouvernements
afin de proposer des solutions de remplacement.
- L'organisme compte aujourd'hui plus de 300 membres et de nombreux collaborateurs,
tels le ministère de l'Environnement et de la Faune, Environnement
Canada, Développement des Ressources Humaines Canada ainsi que le
ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation
du Québec.
- Outre la transition écologique du verger du Mont Saint-Bruno,
Nature-Action pilote des projets aussi variés que la production
de matériel audiovisuel destiné au grand public (Vidéo
: Le compostage c'est fascinant! ; Traduction d'un livre : Pelouses et
jardins sans produits chimiques) de la recherche appliquée (Sauvegarde
de l'habitat de la Buse en Montérégie) et de l'implantation
de collectes de matières compostables dans différentes municipalités.
- L'organisme est composé d'une équipe de soutient de 6
personnes ainsi que des biologistes, d'une géographe spécialisée
en environnement et d'un spécialiste en gestion environnementale.
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Les risques reliés aux contacts répétés avec
les pesticides, notamment les risques de cancers, de maladies du système
nerveux, immunitaire et reproducteur, ou simplement une vision de développement
durable peuvent inciter à explorer l'avenue de la culture biologique
des vergers de pommiers. C'est le défi que s'est donné Nature-Action,
un organisme sans but lucratif, expérimentant la pulvérisation
de produits dits "biologiques" sur un des trois vergers du Mont
Saint-Bruno, en banlieue Sud de Montréal (Encadré 2). "On
entend par pesticides biologiques, des composés chimiques rapidement
biodégradables, comme par exemple la pyréthrine et la roténone6
reconnus pour être photosensibles et se dégrader à l'intérieur
d'une plage de 12 heures", mentionne M. Philippe Gagné, spécialiste
de la culture biologique. "Ces produits, quoique toxiques à
l'application, ne persistent pas dans l'environnement et surtout, ne s'accumulent
pas dans la chaîne alimentaire", rajoute monsieur Gagné.
La lutte contre les ravageurs du pommier ne s'arrête pas à
la pulvérisation de produits biologiques. Elle intègre également
dans sa stratégie une fertilisation naturelle (le compostage), l'épandage
d'acariens prédateurs, le compagnonnage avec des espèces de
végétaux, tel le trèfle, et le maintient d'un verger
sain, bien aéré et exempt de vielles souches, propices à
la multiplication des insectes. Des indicateurs de présence de ravageurs
facilitent l'identification des besoins en pulvérisation. À
ce titre, mentionnons le piège à mouche de la pomme, une imitation
de pomme où les insectes s'engluent, ne distinguant pas la contrefaçon
(Figure 2).
Un des objectifs de Nature-Action est la sensibilisation de la population
à la protection de l'environnement et la conservation des espaces
naturels. Dans ce sens, l'auto-cueillette dans le verger biologique du Mont
Saint-Bruno se fait propice au développement de la tolérance
face à la présence de certaines imperfections des pommes,
dont la déformation ou les taches de tavelure, une maladie causée
par un champignon non toxique pour les humains (Figure 3). "Les exigences
du consommateur face à une pomme sans irrégularités
demeurent encore à ce jour un facteur limitant de la culture biologique
des vergers de pommiers. S'ajoutent à ce facteur, la difficulté
d'approvisionnement des produits biologiques et le manque d'information
sur ce type de culture, notamment en ce qui a trait à l'association
des traitements", poursuit M. Gagné.
Bref, la gestion d'un verger écologique comporte assurément
quelques pépins. Ces pépins diminueront d'autant que la perception
du public, favorisant une pomme d'apparente perfection, pulvérisée
aux pesticides chimiques, se transmutera en une tolérance pour une
pomme sans pesticides, quelquefois de forme imparfaitepour la protection
de l'environnement et le maintient de la santé humaine. Bonne cueillette
et bon début d'automne!
Références:
- Rifkin, Jeremy. 1998. Le siècle biotech Le commerce des
gènes dans le meilleur des mondes, Éditions La Découverte,
Éditions du Boréal, 348 pages.
- Stanton, Danielle. 1999. Les aliments mutants, L'actualité,
Août.
- La créatine est un constituant de base contenu dans les muscles
et le sang, épuré via les reins.
- Ministère de l'environnement et de la faune. L'Utilisation
des pesticides dans les vergers de pommiers. www.mef.gouv.qc.ca/fr/environn/eco_aqua/verger/introv/htm
- Ministère de l'environnement et de la faune. Politique de protection
des sols et de réhabilitation des terrains contaminés. mef.gouv.qc.ca/fr/environn/sols/politique/index/htm
- Diverses espèces de la plante pyrèthre donnent une poudre
insecticide obtenue par broyage des fleurs. La roténone est extraite
de la racine d'une légumineuse d'origine tropicale.
- pageweb.qc.ca/naturaction
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