Le BAPE tient des
audiences sur la gestion des eaux souterraines
par Nathalie Ross, M.Sc.
Limpide, la gestion des eaux souterraines?
Rien n'est moins sûr! Déjà que l'on se questionne sur
la validité du statut juridique (propriété collective
ou privée), alors imaginons la question des conflits potentiels d'usages
La gestion des eaux souterraines suscite beaucoup d'intérêt
dans la population surtout depuis la médiatisation des cas litigieux
de pompage de la nappe à des fins d'embouteillage, vécus par
exemple à Saint-Antoine-Abbé Francklin. Le Bureau d'audiences
publiques sur l'environnement (BAPE), via ses audiences sur la gestion de
l'eau au Québec, a recueilli les recommandations de plusieurs experts
et les opinions du public à l'occasion d'une séance thématique
sur les eaux souterraines: une bonne occasion pour faire le point sur la
situation1, 2, . Sont présentés dans cette chronique, des
notions éclairantes sur la qualité et la quantité de
l'eau souterraine au Québec de même que les modes potentiels
de gestion de la ressource.
Quantité Qualité
En fait, qu'entend-t-on par l'eau "souterraine"? Si l'on considère
qu'elle représente l'eau remplissant les vides du sol, c'est-à-dire
les pores et les fractures, on pourrait affirmer qu'au Québec, il
y a de l'eau souterraine partout. En fait, pour visualiser cette quantité,
on peut la comparer à un immense lac à la grandeur du Québec,
ayant une profondeur variant entre 5 et 60 mètres, en supposant qu'on
extrait l'eau contenue dans les 500 premiers mètres de la couche
terrestre. "Mais cette eau n'est pas nécessairement disponible
tant en quantité qu'en qualité" affirme le professeur
Pierre Gélinas, hydrogéologue à l'Université
Laval. C'est pourquoi il est préférable de considérer
la ressource disponible en tant que ressource territoriale et non en terme
de quantité totale au Québec. Les nappes d'eau souterraine
sont réalimentées par les précipitations représentant,
au Québec, une quantité variant entre 800 et 1200 millimètres
annuellement. Parallèlement, l'exploitation des eaux souterraines
stimule l'infiltration de l'eau dans le sol; amenant une recharge de l'eau
souterraine. C'est précisément la notion de recharge de la
nappe en fonction de l'exploitation (agricole, piscicultures, embouteillage,
consommation domestique, utilisations industrielles, etc.) qui doit devenir
un élément déterminant dans la gestion de l'eau souterraine.
"En ce qui a trait à la qualité, on reconnaît
qu'au Québec, la qualité de l'eau est de bonne à excellente.
Il y a même certains endroits où l'eau est pratiquement pure
à 100%" rapporte le Dr. Gélinas. Les problèmes
rencontrés localement ont souvent trait à la qualité
générale de l'eau telle la présence de fer, de manganèse,
d'anhydrides sulfureux (senteur d'ufs pourris), à la dureté
de l'eau, la salinité et à l'acidité. La contamination
des eaux souterraines par des composés chimiques, pouvant représenter
un danger pour la santé humaine, est notamment de nature agricole
ou industrielle. Pour prévenir les problèmes de contamination,
il importe de définir la vulnérabilité des nappes,
c'est-à-dire la sensibilité des eaux souterraines à
la contamination, des paramètres qui dépendent principalement
des propriétés du sol (ex. la porosité).
Faire la gestion d'une ressource naturelle qui circule...
La consommation de la ressource se divise en trois catégories
principales: la consommation domestique (54%), l'industrie de l'agriculture
(40%) et les usages industriels (7%). Au Québec, 20% de la population
dépend des eaux souterraines pour leur consommation. Cette population
est répartie sur 90% du territoire habité du Québec,
majoritairement située dans les régions rurales du Québec.
Le professeur Olivier Banton, de l'Institut national de recherche scientifique
secteur Eau, a présenté différentes avenues de gestion
de la ressource eau souterraine, se situant entre deux extrémités,
soit la collectivisation (appartenance à l'État) à
la libéralisation complète (Tableau 1).
Tableau 1 - Avenues de gestion des eaux souterraines au Québec |
Types de gestion |
Définition / avantages / limites
|
Nationalisation |
Contrôle total et discrétionnaire sur la gestion en tant
que propriétaire.
L'utilisateur doit obtenir une autorisation et payer une redevance directe
ou indirecte.
Le prix d'accès à la ressource est généralement
supérieur à celui du libre marché. |
Domanialisation |
Le contrôle de la ressource est effectué par un certain
nombre de délégués locaux et régionaux.
Ce type de gestion peut résulter en un transfert de monopole d'état
à un monopole local, comprenant les changements d'objectifs de gestion
en fonction des élections municipales et régionales.
Potentiel de monopole et de manque de compétence à l'échelle
locale. |
Comités de gestion |
L'État concède la gestion et la protection des ressources
à des entités indépendantes de lui, même si l'État
y participe comme un des partenaires au même titre que les autres
usagers de la ressource.
Ces tables de concertation et de décision disposent de leurs propres
modes de fonctionnement et établissent leurs propres règles.
Cette forme de gestion est démocratique, amenant une certaine
forme de méfiance des forces économiques et de groupes sociaux. |
Statu quo |
Il s'agit de conserver le type de gestion actuelle, c'est-à-dire
celui où l'État assure la gestion par l'entremise du ministère
de l'Environnement.
Ce statu quo implique que l'on fonctionne avec l'ambiguïté
au niveau du droit de propriété, c'est-à-dire que le
propriétaire du terrain est également propriétaire
de l'eau souterraine qui y circule tout en tenant compte de facteurs de
répercussion puisque l'eau n'est pas une ressource stationnaire. |
Libéralisation complète |
Désimplication totale ou presque de l'État où le
marché gère l'allocation de la ressource.
Ce faisant, on considère que le marché est le véhicule
le plus apte à décider de l'allocation optimale de la ressource.
Certains quotas peuvent être imposés par l'État. |
|
Il n'est possible d'entrevoir l'approche idéale de gestion que
dans la mesure où l'information sur les nappes d'eau souterraine
est disponible. C'est pourquoi il s'avère impératif de dresser
un inventaire de la ressource, via des cartes hydrogéologiques, et
d'établir les usages prioritaires. "L'alimentation des humains
demeure l'usage prioritaire, bien évidemment, mais il peut y avoir
tout un ensemble de priorisations différentes selon les enjeux économiques"
ajoute le Dr. Banton.
Afin d'en savoir plus sur les audiences du BAPE relativement à
la gestion de l'eau au Québec, consultez leur site Internet, qui
regorge d'information: www.bape.gouv.qc.ca/eau/index.htm |