À propos
de... La température de surface
par Jean-Jacques Roussel,
Consultant en viabilité hivernale
L'épandage de sel de voirie est incontournable pour assurer un
entretien d'hiver de qualité. Mais son coût et surtout ses
effets secondaires obligent à en optimiser l'usage. Aujourd'hui,
les contremaîtres, les opérateurs ou même directement
les épandeuses via le contrôleur électronique peuvent
utiliser une nouvelle donnée : la température de surface.
C'est une donnée très importante pour comprendre les phénomènes
qui se produisent à la surface de la route et expliquer l'efficacité
mais aussi les limites du sel. Il nous a semblé intéressant
d'expliquer ce qu'elle signifie, comment elle est mesurée et ce qu'elle
pourrait apporter concrètement à l'entretien d'hiver.
Qu'est-ce que la température de surface ?
La surface de la chaussée constitue une interface entre deux milieux
très différents en terme de comportement à la chaleur
: l'air et la chaussée. La température de surface (abréviation
Ts) est influencée par ces deux milieux.
L'air est un milieu gazeux et continuellement en mouvement : la chaleur
s'y propage par convection, l'air chaud s'élevant au dessus de l'air
froid. La température de l'air mesurée de manière normalisée
par l'organisation mondiale de la météo (abréviation
Ta) varie beaucoup dans une journée et en fonction des masses d'air.
Au contraire, le corps de chaussée est un milieu solide et figé
au comportement thermique très stable : la chaleur s'y propage par
conduction, de manière lente et régulière du plus chaud
vers le plus froid.
La surface est également soumise au rayonnement solaire le jour
(qui fait que Ts est la plupart du temps au dessus de Ta) et au rayonnement
terrestre la nuit (qui fait que Ts diminue plus vite que Ta le soir par
ciel découvert).
Enfin la surface est soumise à d'autres influences thermiques
comme les changements d'état de l'eau à la surface (de la
neige qui fond ou de l'eau qui sèche pompe de la chaleur à
la surface) ainsi qu'au trafic (bien qu'il faille beaucoup de véhicules
pour que le frottement des pneus accroisse un peu Ts).
La température de surface est donc le résultat de nombreuses
influences. Il est par conséquent difficile de la prévoir
avec précision. Mais avant, il faut la mesurer.
Comment mesurer la température de surface ?
La température de surface peut être mesurée de différentes
manières :
- par une sonde placée dans la chaussée, le plus près
possible de la surface de roulement. C'est cette mesure qui est effectuée
dans les stations météo routières. Cette mesure tient
compte de la température de l'air et des effets de surface (rayonnement,
changements d'état) avec un certain retard et un certain lissage.
Elle est ponctuelle mais fournie une information en continu dans le temps.
Il est possible de faire une prévision de Ts en prenant en compte
d'autres données de la station (comme la température de l'air
et celle dans le corps de chaussée, le vent et l'ensoleillement)
;
- par un thermomètre de température située dans
l'air à proximité de la chaussée (c'est la mesure faite
à l'aide du pickup d'un patrouilleur). Cette mesure de la température
de l'air ambiant peut être sensiblement différente de celle
de la surface surtout si le vent ou le trafic sont faibles ;
- par un capteur infrarouge qui mesure le rayonnement de la surface et
le traduit en température de surface. C'est la mesure la plus pratique.
Il peut être monté sur un véhicule de patrouille ou
un camion épandeur (mais attention aux salissures de l'optique).
Il fonctionne en continu, sans contact, avec une réaction très
rapide qui permet de mettre en évidence les variations induites par
les conditions locales (en particulier d'exposition au soleil) et la nature
de la chaussée (grande différence entre tablier de structure
et chaussée ordinaire par exemple). Il connaît aussi des limites
qu'il faut comprendre pour bien l'utiliser :
- c'est la température de la surface observée par le capteur
infrarouge (la route avec ce qu'il y a dessus) qui est mesurée et
non celle de l'asphalte ;
- les fournisseurs de capteurs infrarouge pour la route règlent
généralement l'émissivité sur .95, qui est l'émissivité
de l'asphalte neuf et de la neige fraîche. Le calcul de la température
à partir du rayonnement mesuré devrait tenir compte de l'émissivité
réelle et donc de la nature de la surface. Par exemple, sur un vieil
asphalte, la mesure peut indiquer une température jusqu'à
5°C en dessous de sa température réelle et cet écart
peut aller jusqu'à 10°C pour une route en béton de ciment.
À l'inverse, une route couverte de glace ou d'eau sera en réalité
légèrement plus froide (de l'ordre de 1°C) que ne l'indique
la mesure.
Malgré ces limites, la mesure par infrarouge reste la plus pratique
à mettre en oeuvre.
Comment prendre en compte la température de surface dans l'entretien
d'hiver ?
Au Québec où les phénomènes hivernaux sont
fréquents et durables, il est indéniable que la prise en compte
de Ts améliorera l'entretien d'hiver.
Actuellement, les niveaux de service, la nature et les taux d'épandage
sont principalement fonction du trafic, de l'heure et de la température
de l'air. Les écarts entre Ta et Ts peuvent être importants
(jusqu'à 10°C dans certains cas) et dans les deux sens.
Mesurer et connaître Ts permet donc :
- de remplacer au moins Ta par Ts dans les règles existantes,
ce qui améliorera la qualité des décisions ;
- de développer de nouvelles règles d'entretien d'hiver
qui prendront mieux en compte le "potentiel thermique" de la chaussée,
donc qui amélioreront l'emploi du sel et rendront plus réalistes
les niveaux de service.
Conclusion
La température de surface ne saurait être la panacée,
mais bien comprise, bien mesurée et bien utilisée, elle constitue
une nouvelle donnée qui peut grandement améliorer l'entretien
d'hiver. Le défi est aujourd'hui de mieux comprendre, avec cette
nouvelle donnée, ce qui se passe sur la chaussée. Ainsi il
sera possible de l'intégrer dans les règles de niveaux de
service et d'épandage de sels de voirie. |