Les grands chantiers du siècle : le "Big Dig" de Boston


Par Sylvain Lafontaine

 

Cette chronique a pour mission de présenter de grandes réalisations humaines qui ont un impact significatif sur le développement de certaines régions du monde. Fin de siècle oblige, nous accorderons une importance particulière sur les projets qui ont marqué le 20e siècle tant par leur utilité que par l'ampleur des travaux nécessaires à leur érection.

 

Réputée pour posséder une des pires infrastructures routières d'Amérique du Nord, le tout Boston est à l'œuvre depuis le début des années 1990 pour moderniser son réseau routier. Ces travaux s'inscrivent parmi un des plus importants projets entrepris ces dernières décennies chez nos voisins du Sud. Il s'agit du projet "Big Dig".

Ce projet ambitieux vise à régler un problème majeur vécu dans cette métropole américaine, soit éliminer la congestion chronique des artères de circulation. Conçue à l'origine pour desservir 75000 véhicules par jour, la fameuse voie surélevée qui divise la ville de Boston en deux subie l'assaut incessant de plus de 190000 véhicules. Les heures de pointe sont infernales, 8 à dix heures par jour, et allaient selon des estimations prudentes s'éterniser jusqu'à 15 à 16 heures en 2010. De plus, cette autoroute est dangereuse, comme l'atteste le taux d'accident qui est quatre fois plus élevé que le taux national. Il fallait donc réagir et la réponse des autorités fut: le "Big Dig".

Les travaux consistent construire un pont à haubans le plus large de la planète qui passera au-dessus de la Charles River, une autoroute souterraine qui remplacera l'actuelle voie express surélevée, un nouvel échangeur pour les autoroutes 190 et 193, et un tunnel de 4 voies passant sous le port pour relier l'aéroport international Logan.

La durée du chantier fut estimée à 15 ans et les coûts devaient attendre les 11 milliards $US. Dans les faits toutefois, c'est plus de 20 milliards $US qui seront engloutis dans cette aventure.

Le principal défi des responsables du projet était de limiter les impacts négatifs de la construction, tant pour les citoyens que pour l'économie de la ville. Pour y arriver, on opta pour la construction d'un tunnel qui traverserait la ville, permettant ainsi de limiter les entraves à la circulation sur les voies existantes. Une brigade spéciale fut instaurée afin de contrôler l'inévitable pollution sonore, car la majorité des chantiers sont en opération jour et nuit, le gros des travaux se déroulant parfois la nuit afin de ne pas nuire à la circulation diurne. De nombreux comités furent également formés afin de trouver des solutions satisfaisantes en réponses aux inévitables plaintes des citoyens et gens d'affaire.

La future autoroute souterraine devait, selon les plans, passer à 35 mètres sous la station de métro South Station qui est empruntée par plus de 85000 personnes chaque jour. Le plafond de l'autoroute souterraine se trouve à un mètre à peine sous les rails de la station. Il a donc fallu construire une structure massive en béton pour soutenir le tunnel du métro pendant la construction de l'autoroute souterraine afin d'éviter son effondrement lors de l'excavation. Deux murs épais reposant sur le sous-sol rocheux ont d'abord été érigés pour devenir les côtés du tunnel. Ensuite, le dessus du tunnel a été creusé et le vide comblé par une immense plaque de béton, formant ainsi le toit de la nouvelle autoroute souterraine à cet endroit.

Pour effectuer ce travail, les ouvriers devaient creuser jusqu'à 36 mètres sous terre. Chaque pièce d'équipement devait être descendue dans l'excavation par une grue géante de 400 tonnes. La roche excavée était ensuite chargée dans une benne et remontée à la surface un chargement à la fois.

Dans une ville aussi densément peuplée que Boston, les endroits où l'on peut faire passer un tunnel sont rares. Le seul endroit possible était sous la fameuse voie express surélevée. Mais comment creuser sans nuire à la circulation et sans endommager les infrastructures qui surplombaient le chantier? En effet, la construction des murs du tunnel devaient se faire sans creuser un immense trou pour ne pas nuire à la circulation. Les ingénieurs résolurent une partie du problème en utilisant une technique spéciale de mur en coulis, un mur qui part de la surface du sol et se rend jusqu'au sous-sol rocheux. Le procédé est simple : une benne preneuse creuse une tranchée dans le sol et ensuite on injecte dans la tranchée un coulis d'argile et d'eau et cela, afin de maintenir une pression sur le mur d'excavation pour éviter qu'il ne s'effondre. On dépose ensuite à intervalles réguliers dans la tranchée des poutres d'acier renforcées et finalement on injecte du béton jusqu'au roc pour remplir l'excavation, le béton remplaçant le coulis qui est retiré et réutilisé. Chaque panneau de mur de coulis prend 2 jours à construire sur une longueur de 8 km. C'est cette technique de mur en coulis qui permis à la ville de fonctionner pendant la construction.

Lorsque l'on planifie la construction d'un tunnel de cette ampleur, on doit toujours prévoir le pire comme l'incendie d'un camion-citerne au milieu de la structure. L'exemple de la catastrophe du Mont Blanc (un tunnel de 16 km qui relie la France et L'Italie) qui fit 38 morts en 1999 porte à réfléchir sur une éventualité aussi sinistre. Afin d'étudier l'impact d'un incendie majeur dans le tunnel qui allait être construit, les ingénieurs du projet créèrent un laboratoire unique de 40 millions $US dans un tunnel abandonné en Virginie-Occidentale. Plus de 100 incendies furent provoqués dans ce tunnel, allant du simple accident de voiture à la collision fatidique entre deux camions-citernes. La conclusion de ces tests: des milliards de dollars étaient dépensés pour rendre les tunnels résistants au feu plus que nécessaire alors que parfois un simple ajustement de la ventilation lors d'un incendie suffisait à diminuer l'intensité de l'incendie. Les conclusions de ces recherches permirent au dirigeant du projet, en accord avec le service des incendies de la ville de boston, de réduire le degré de résistance au feu des panneaux du plafond, entraînant ainsi une économie de plus de 20 millions $US.

Le Ted Willians Tunnel est ouvert à la circulation depuis la fin de 1995 et fut complété en 3 années. Pourtant, le projet "Big Dig" est loin d'être terminé, à peine 65% des travaux sont complétés. Beaucoup demeurent encore en chantier, notamment les échangeurs des autoroutes 190 et 193, le pont à haubans large de 10 voies et le tunnel qui doit passer sous le port de Boston pour relier l'aéroport international Logan. Au plus fort des activités entre 1998 et 2000, plus de 4000 travailleurs oeuvraient sur les différents chantiers. L'équivalant de 3 millions $US de travaux étaient complétés chaque jour. On espère terminer ce projet colossal en 2004 et ce n'est que par la suite que l'on détruira l'affreuse balafre (la voie surélevée) qui défigure cette belle ville. Plus tard, on entreprendra la restauration des espaces libres en surface. Des quartiers qui furent séparés dans les années 50 pourront enfin être réunis. On prévoit l'implantation de près de 27 acres de parcs aux endroits où se dresse actuellement la voie surélevée et au total 150 acres de parcs et espaces publics dans l'ensemble de la ville de Boston. Près 33000 arbres seront transplantés, ce qui donnera un renouveau de fraîcheur à la ville de Boston.

 

Références :

 

Série Les grands chantiers du siècle :


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