La crise au Saguenay et les entreprises: une vive compétition, même pour faire le bien Guy Leroux, conseiller principal Continental Communications - Montréal
Durant la fin de semaine du 20 juillet 1996, des précipations records s'abattent sur la région du nord-est du Québec. Déjà rempli à pleine capacité, le bassin hydrographique déborde. Les rivières se déchaînent : c'est le désastre. Des centaines de maisons sont emportées, dix fois plus sont inondées. Les citoyens du Saguenay, les plus touchés, sont évacués par milliers, tantôt par hélicoptère, tantôt par voie maritime. La Croix-Rouge s'active sur place. On se croirait en temps de guerre... À La Baie, P.Q. Qui dit catastrophe dit médias d'information. Sur place, les journalistes, techniciens, cameramans, preneurs de son, réalisateurs, recherchistes, s'activent comme des fourmis pour fournir à la demande : nouvelles continues à RDI, bulletins de nouvelles allongés aux autres stations, publication de 6 à 12 pages dans les quotidiens comme La Presse et Le Journal de Montréal, bref, des millions de dollars en visibilité et en notoriété qui contribuent à créer un puissant courant d'entraide au sein de la population. Un tel événement n'est pas sans affecter les grandes entreprises qui sont implantées au Québec. Les banques, les magasins de vente au détail, les supermarchés, les services publics (électricité, téléphone) et les organismes parapublics comme Loto-Québec se sentent forcées de réagir à la crise. Officiellement, elles le font par devoir moral envers leurs consommateurs et leurs employés. Dans les faits, elles cherchent à éviter de se faire devancer par un concurrent ou encore, d'être accusés d'omnipotence dans les médias. Le lendemain du désastre, certaines entreprises se sont démarquées par leur rapidité : la Banque Laurentienne a été la première société financière à annoncer qu'elle acceptait les cotisations dans toutes ses succursales. Les Caisses populaires ont toutefois été plus habiles : elles se sont associées avec la Croix-Rouge lorsque le premier ministre a désigné cet organisme comme étant celui qui avait la mission de centraliser les dons. La Banque Royale a renchéri par un don de 25 000 $, qui a été quadruplé par la Banque de Montréal : 100 000 $. La Banque Royale a répliqué par une campagne de publicité télévisée pour encourager les dons à ses succursales. La SAQ mérite la palme pour la rapidité et la générosité : elle doublait en effet tous les montants donnés par la clientèle, ce qui a représenté en fin de compte une cotisation de 2,5 millions de dollars ! Elle n'avait pas vraiment le choix, étant la vache à lait du gouvernement. Loto-Québec a eu la main moins heureuse : elle a mis deux semaines avant d'annoncer qu'elle versait tous les profits d'une journée de ses casinos, mais le mal était fait : au moins une lettre avait déjà été publiée dans La Presse pour dénoncer son inaction. Les plus petites entreprises implantées au Saguenay ont aussi reçu une forte pression d'agir. Ameublement Tanguay n'est pas une multinationale : elle a pourtant offert 100 000$ à la Croix-Rouge. L'inverse est aussi vrai : on raconte qu'un dépanneur de Ville de La Baie a tenté de profiter de la crise pour vendre son 4 litres de lait au prix exorbitant de 15 $. Cette histoire s'est répandue comme une traînée de poudre, si bien que ce pauvre dépannneur est aujourd'hui sur le bord de la faillite, boycotté pour toujours par des résidents dégoûtés par son geste. Lors d'une crise, on voit émerger le meilleur comme le pire : les donations généreuses et l'entraide gratuite côtoie le pillage et les marchands sans scrupules qui tente de profiter de l'occasion pour faire un petit pécule. Les entrepreneurs dans le domaine de l'infrastructure ne pourront s'empêcher de voir dans cette crise une opportunité d'affaires (il n'y a pas de mal à ça). Certains entrepreneurs auront peur de faire un don par crainte d'apparaître opportunistes : c'est une fausse menace. Ce n'est un secret pour personne que la crise va générer d'importants contrats pour la réfection des routes, ponts, chaussées, aqueduc, etc. Les entrepreneurs ont donc tout intérêt à s'inscrire dans le mouvement de solidarité en posant un geste et en le faisant savoir. Une donation selon vos moyens à un représentant officiel de la Croix-Rouge immortalisé par une photo, et vous voilà dans le journal local, ou dans un grand quotidien, sous un angle très sympathique, à faire une contribution utile. Les gens vont s'en rappeler. L'important, c'est de ne pas mêler les cartes : la donation est une donation. Les affaires sont les affaires. Point à la ligne. Comme quoi toutes les raisons sont bonnes pour aider les gens du Saguenay... et surtout quand c'est fait avec professionalisme. |
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