Le snowmobile, une fierté québécoise

Marcel Tremblay
Collaboration spéciale


Aller où l'on veut, quand on le veut, procure un grand sentiment de liberté. Alors, imaginez que vous habitiez un village où la neige est si abondante qu'elle vous oblige à y rester pendant presque tout l'hiver! C'est la situation que vivaient plusieurs habitants des villages québécois d'antan.

Pour retrouver cette liberté de mouvement, il fallait concevoir un véhicule léger, muni d'un moteur, d'une traction et d'une suspension adapté à la consistance changeante de la neige et qui, en plus, ne s'y enfonçait pas.

Durant les années 1920-30, la construction d'un tel véhicule était exactement le défi que s'était donné un jeune homme inventif et entrepreneur du nom de Joseph-Armand Bombardier de Valcourt, Québec.

Le barbotin-chenille
C'est en 1926, à l'âge de 19 ans, que monsieur Bombardier a démarré l'entreprise «Garage Bombardier». Doté d'une ingéniosité hors du commun pour la mécanique, il a passé des années à développer des prototypes munis de chenilles à partir d'automobiles modifiées, notamment des Ford. Puis, durant l'hiver 1935, il a enfin réalisé son défi en mettant au point une roue d'engrenage dentée pour entraîner une chenille. Cette roue, qui est le barbotin original fait de bois et recouvert de caoutchouc, a été brevetée en juin 1937. Composé de deux bandes de caoutchouc reliées entre elles par des traverses d'acier, ce système barbotinrésout les problèmes de déplacement sur la neige. Pour assurer la solidité du système, le bois du barbotin a éventuellement été remplacé par de l'acier.

Des résultats marquants, même en période de guerre
La première autoneige («snowmobile») pour 7 passagers, baptisée B7, sort à l'hiver 1936-37. Elle est munie de trois roues à broches, du barbotin-chenille, d'une suspension rigide et de barres («rods») de conduite reliées à des skis inclinées vers l'extérieur-avant. Elle est très populaire, malgré la neige et la glace qui avaient tendance à s'accumuler dans les broches de ses roues. Pour régler ce problème, Joseph-Armand Bombardier a mis au point une presse lui permettant de fabriquer des roues pleines. La B7 modifiée sortira en 1940 et comblera les attentes, notamment, des vétérinaires, des médecins de campagne, des hôteliers et des entrepreneurs en pompes funèbres. À l'époque, ce n'était pas tout le monde qui pouvait s'acheter un «snowmobile» dont le prix variait entre 2500 $ et 3000 $.

Nous sommes en temps de guerre et des restrictions sont imposées à tous. L'usine Bombardier doit ralentir sa production mais parvient tout de même à fabriquer une autoneige de 12 places, la B12, brevetée en 1942. «Contrairement à l'autoneige B7, équipée d'un moteur V8 Ford “flat head” de 85 hp, la B12 est propulsée par un moteur Chrysler industriel. En plus de corriger l'exposition des barres de conduite en les inclinant vers l'intérieur, on a ajouté une quatrième roue et une suspension indépendante, ce qui lui a donné une meilleure stabilité. Cette stabilité lui provient également de ses chenilles d'une largeur de 12 pouces (30,5 cm), pour une portance totale de 72 pouces (180 cm)», explique Guy Pépin, conservateur et restaurateur du Musée J. Armand Bombardier depuis plus de 12 ans.

Dans son effort de guerre, l'usine Bombardier a étendu sa production à une plus grande gamme de véhicules chenilles à vocations industrielle et militaire. De fait, entre 1942 et 1946, monsieur Bombardier s'est inspiré de la B12 pour produire plusieurs autoneiges blindées à chenilles pour l'armée canadienne, comme la B1 et les modèles Mark I, II et III. Pendant cette période, il en a fourni plus de 1900 exemplaires.

Des autoneiges utiles
Pour Gilles Samson, originaire de l'Abitibi, grand collectionneur de «snowmobiles» et propriétaire de Duvernay Asphalte Transport inc., l'autoneige Bombardier était une machine indispensable. «À l'époque, mon père était propriétaire du magasin général et avait une cours à bois. Pour alimenter la cours, nous devions aller au chantier situé à 32 milles (50 km) de la maison et on avait le choix entre le cheval ou les raquettes. Lorsque mon père a acheté ses premières autoneiges B12, tout a changé. Nous pouvions transporter plus de choses et surtout aller plus vite car elles allaient à plus de 70 km/h. Il n'y a pas de doute, elles nous permettait de gagner beaucoup de temps. Et, même si la distance que nous pouvions faire dépendait notamment de la charge, du type d'escarpement du sol ou encore, de la consistance de la neige, les 15 gallons US (57 l) d'essence ordinaire contenus dans son réservoir nous donnaient une excellente autonomie. Elles étaient devenues si indispensables à notre vie que je n'ose même pas imaginer ce que nous aurions fait sans elles! Pour moi, une chose est claire, les “snowmobiles” ont facilité la vie de biens des gens et marqué véritablement le développement des régions du Québec.»

Le «snowmobile» B12 est construit à plus de 2817 exemplaires entre les années 1942 et 1951. Pour répondre aux différentes attentes des clients, notamment, pour le service des postes, les transports de matériaux ou encore ambulanciers, il subira quelques modifications.

Des autoneiges adaptées aux besoins
Vers la fin des années 1940, des hivers moins enneigés et l'arrivée d'une politique du gouvernement québécois obligeant le déneigement des routes rurales, a forcé monsieur Bombardier à chercher de nouveaux marchés pour ses autoneiges. Or, comme il venait de le faire pour l'autoneige «scolaire» C18 , dans laquelle 25 écoliers peuvent prendre place, il s'inspire encore une fois de la B12 pour ses expérimentations. Il sort ainsi divers prototypes de ses recherches, notamment un lui permettant de circuler autant sur l'asphalte que sur la neige grâce à un système interchangeable de roues et de patins (la B5). Toujours dans l'esprit de varier ses débouchés, il conçoit un prototype tout chenilles (la C4) et un autre relié à l'industrie forestière (la BT ou Bombardier Truck). Enfin, en plus de réussir à fabriquer un barbotin tout caoutchouc, incassable et indéformable, il produit une chenille sans fin, sans jonction, grâce à un nouveau procédé de vulcanisation.

Cette persévérance a amené l'inventeur-entrepreneur Bombardier à développer au cours des années 1950 un tracteur tout chenilles passe-partout, le Muskeg™ ainsi que le premier véhicule chenillé conçu pour l'exploitation forestière, le J5™. Grâce à son savoir-faire, il mettra au point un mécanisme de traction TTA («Tractor Tracking Attachment») et une nouvelle série dite R. Ces autoneiges seront dotées d'une carrosserie, non pas d'aluminium et/ou de bois comme pour la B7 et la B12, mais d'acier.

La création de la Fondation et du Musée J. Armand Bombardier
À la mort de Joseph-Armand Bombardier en 1964, sa famille a décidé de créer une fondation. Et, en 1971, dans le but d'honorer sa mémoire, la Fondation a décidé de construire un musée qui porte son nom. Dans ce musée on a rassemblé la plus large collection possible de véhicules, d'outils et de dessins témoignant de son esprit ingénieux. De fait, au cours de la période de 1937 à 1968, monsieur Bombardier a mis au point plus de 43 brevets approuvés.

«Les “snowmobiles” Bombardier ont vraiment révélé au monde le génie d'un bâtisseur et d'un visionnaire audacieux. Les collectionneurs comme Gilles Samson perpétuent par leur passion une véritable reconnaissance de ce génie québécois en les préservant soigneusement. C'est pourquoi, non seulement le Musée donne des conseils sur l'acquisition et la conservation des “snowmobiles” mais, également leur restauration. Pour les consever autant que possible à leur état original, notre Service de muséologie offre des méthodes précises à appliquer», de mentionner Guy Pépin.

Pour Gilles Samson, l'autoneige Bombardier n'est pas seulement un véhicule avec lequel on peut aisément se déplacer en hiver. «Cela fait plus de 35 ans que je collectionne les “snowmobiles”. J'en ai 37 dans mes entrepôts. Ce qui me plaît de ces véhicules, c'est justement l'ingéniosité purement québécoise qu'il y a derrière. L'histoire de Bombardier, c'est l'histoire du Québec. Joseph-Armand Bombardier représentait ce que nous étions à l'époque de la Deuxième Guerre mondiale : des gens fiers, inventifs, persévérants et indépendants. Pour moi, cette quête est devenue une passion du coeur et de la raison», raconte Gilles Samson, qui a déjà commencé à transmettre cette passion à ses enfants.

L'hiver, en voyageant dans différentes régions du Québec, il y a de fortes chances que vous aperceviez ces véhicules chenillés traversant une plaine enneigée ou sortant d'un sous-bois. Peut-être, cet engin typique sera celui de Gilles Samson, de Jocelyn Côté ou encore de Michel Béland, qui possède une collection complète de B12. Grâce à ces derniers de même qu'à Jean Aubry, Richard Dufresne, Jean-René Moreau et plusieurs autres, l'autoneige Bombardier rappelera toujours ce que le savoir-faire québécois peut offrir pour se sortir d'un banc de neige.


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