Le 21e siècle : l'âge de la biologie ?


par Nathalie Ross, M.Sc.

 

La cause du brevetage de la "souris transgénique de Harvard", entendue à la Cour fédérale du Canada, nous met la puce à l'oreille sur une tendance du 21e siècle qui annonce une ruée vers les gènes. Cette cause donne l'exemple de la course au brevetage du matériel génétique issu de végétaux, d'animaux, de micro-organismes et d'êtres humains. Les compagnies biotechnologiques qui détiennent ces brevets empêchent à leurs compétiteurs l'utilisation du matériel génétique ''découvert" ou encore, demandent des redevances pour employer les technologies. Appelé "bioprospection" ou "biopiraterie" en fonction de la vision que l'on a du phénomène, le brevetage du matériel génétique est en pleine expansion et parallèlement, un tollé contestataire s'organise par la voie d'organismes non gouvernementaux tels RAFI, GRAIN et Third World Network.

 

Est-ce que tout est brevetable ?

Classiquement, est brevetable une substance : nouvelle, utile ou un procédé faisant preuve d'ingéniosité. Définition simple à la base, son interprétation se complexifie lorsqu'un verdict doit être rendu sur une substance vivante ou issue d'un organisme vivant. Le cas de la "souris transgénique de Harvard" illustre bien cette difficulté. La souris, appelée en anglais "oncomouse", a été modifiée génétiquement afin d'être susceptible aux cancers.

En 1984, un brevet américain a été donné sur le procédé biotechnologique d'insertion du gène et sur la souris elle-même (ainsi que tout autre mammifère modifié avec cette technologie). Une demande de brevet canadien a également été déposé et le verdict du "Canadian Patent office" était à l'effet que le procédé de modification génétique pouvait être breveté alors que la souris ne pouvait l'être. De même, l'appel a été rejeté par la Cour fédérale du Canada. Cet exemple nous amène à nous interroger sur ce que l'on juge "nouveau" ou "nouvellement découvert".

Tableau 1 - Exemples de gènes de maladie humaines brevetés
Gène découvert Découvreur / Détenteur Numéro de brevet
Alzheimer Duke University US Patent No. 5 508 167
Susceptibilité au cancer du sein et des ovaires Myriad Genetics US Patent No. 5 648 212
Obésité Millenium Pharmaceuticals / Hoffman-La Roche US Patent No. 5 646 040
Ostéoporose Human Genome Sciences, Inc. US Patent No. 5 501 969
Epilepsie Progenitor en attente de brevet

Une protection des idées ou des parts de marché ?

Chaque fois qu'une découverte scientifique sur le gène d'une maladie humaine est annoncée, rarement il est mentionné que ce gène fait également l'objet d'une demande de brevet par les "découvreurs" (Tableau 1). Avec les brevets en main, les compagnies biotechnologiques sont en mesure de décider qui aura accès à ces gènes et à quel coût. Elles affirment que ce monopole de brevets est essentiel pour compenser les investissements nécessaires à la recherche. En plus d'augmenter les coûts médicaux et de restreindre la portée d'utilisation des gènes découverts, ce monopole de brevetage diminue les efforts de recherche par les équipes de recherche qui ne possèdent pas le brevet.

 

Les pays du Sud riches en matériel génétique "brevetable"

Un autre aspect préoccupant du phénomène de bioprospection est l'appropriation, par des compagnies étrangères, de la biodiversité développée et utilisée par les fermiers et les indigènes des pays du Sud. En effet, par le biais de brevets, les compagnies se réclament le droit exclusif de production et de vente de plusieurs végétaux et animaux manipulés génétiquement. Les communautés du tiers monde s'inquiètent du prix qu'elles devront payer pour consommer ces produits qu'elles ont, dans la majorité des cas, développés.

Quelques cas bien documentés tel les brevets sur le riz Basmati, le Quinoa et l'arbre "neem" sont des exemples de l'étendue de la tendance du biopiratage. Sans contredit, si le 20e siècle a été celui du développement industriel, le 21e se dessine comme celui de la biologie... ou de la biotechnologie ?


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