Le béton des tunnels routiers se décompose à une vitesse inattendue

Catharina Björk et Emma Fry,
Chalmers University of Technology
Special Collaboration


 


Lorsque l’eau de mer pénètre dans le béton des tunnels routiers, il se forme un biofilm qui dégrade le béton. Cela peut entraîner des coûts élevés et des risques de dommages si des pierres et du béton tombent du toit du tunnel. Une nouvelle étude, menée par une équipe de chercheurs de la Chalmers tekniska högskola (université technologique de Chalmers) en Suède, révèle les mécanismes à l’origine de cette dégradation et sa progression étonnamment rapide.

Lorsque les tunnels routiers sont construits dans la roche, le toit et les parois sont recouverts de béton projeté pour créer une couche de surface uniforme et empêcher les pierres de se détacher et de tomber sur la route. Lorsque les tunnels sont entourés d’eau de mer, comme c’est le cas dans l’Oslofjord, par exemple, l’intrusion d’eau salée entraîne des bactéries dans l’environnement du tunnel et ces bactéries forment alors des colonies – des biofilms – à la surface du béton. Les bactéries se nourrissent des substances présentes dans le béton et attaquent la surface, qui devient alors poreuse. Dans une publication scientifique récente, les chercheurs ont découvert de nouvelles informations sur les processus microbiologiques à l’origine de la dégradation, et ce à un rythme relativement rapide.

«Nous prenons des mesures dans le tunnel d’Oslofjord depuis 2014 et nous constatons que les bactéries grignotent la surface du béton à raison d’un centimètre par an. En cas d’intrusion d’eau salée, un biofilm se forme et le béton recouvert par le biofilm se dissout progressivement», expliquait Frank Persson, professeur agrégé de biologie moléculaire et d’écologie microbienne au département d’architecture et de génie civil de Chalmers.

Le béton projeté est utilisé à grande échelle dans les tunnels routiers depuis les années 1990, et depuis lors, les chercheurs ont pu observer cet encrassement du biofilm. Malgré cela, il existe actuellement très peu d’études similaires sur la biocorrosion dans les tunnels sous-marins en milieu marin.

Frank Persson et ses collègues ont étudié le tunnel d’Oslofjord dans le cadre de projets liés à la Statens vegvesen (l’administration norvégienne des routes publiques), mais selon les chercheurs, le phénomène se produit probablement dans des environnements similaires partout dans le monde.

Le nouveau béton projeté sur les murs et les plafonds des tunnels a une valeur pH élevée, mais au fur et à mesure que le béton vieillit, une dégradation chimique naturelle se produit, qui fait chuter la valeur pH du béton et rend l’environnement plus hospitalier pour les bactéries. Les bactéries accélèrent encore la corrosion de l’armature du béton et, à leur tour, la dégradation du béton lui-même, lorsqu’elles métabolisent le fer, le manganèse, le soufre et l’azote présents dans le béton. Les chercheurs ont constaté que cette dégradation en interaction locale peut être relativement rapide. Dans des conditions extrêmes, les bactéries peuvent pénétrer jusqu’à 10 cm en 5 ans.

«Ce type de biofilm est un signal d’alarme assez clair. Il faut surveiller l’écoulement de l’eau et la propagation du biofilm et localiser le béton décollé et endommagé pour le pulvériser à nouveau, si nécessaire», expliquait Britt-Marie Wilén, professeur d’ingénierie de l’environnement et des eaux usées au département d’architecture et de génie civil de l’université Chalmers.

Les chercheurs soulignent que les tunnels routiers, malgré ce biofilm, sont généralement sûrs et font l’objet d’une surveillance de la part des autorités norvégiennes. Sur la base de ces études, ils recommandent de mesurer en permanence le pH du béton, d’examiner l’écoulement des eaux souterraines à travers la roche et de surveiller la propagation du biofilm. Le débit des eaux souterraines affecte la croissance du biofilm, en particulier à faible débit, où la valeur du pH du biofilm est plus faible, ce qui contribue à une dégradation plus rapide du béton que lorsque le débit des eaux souterraines est plus élevé, ce qui neutralise l’acide dans le biofilm.

Les recherches actuelles ont été menées dans le tunnel d’Oslofjord en Norvège, mais une dégradation similaire du béton est susceptible de se produire dans des tunnels similaires où l’eau douce peut s’infiltrer dans le béton, selon le professeur Wilén.

«Cependant, le problème est probablement plus important dans les environnements où l’eau de mer pénètre, en partie parce que l’eau de mer est favorable à la croissance bactérienne, mais aussi parce que le sel accélère la corrosion dans l’armature. Le changement climatique entraîne également un réchauffement des océans et, avec une eau plus chaude, la valeur du pH diminue davantage, ce qui pourrait augmenter le taux de corrosion», expliquait-elle.

En cartographiant les communautés microbiennes du tunnel d’Oslofjord, les chercheurs de Chalmers ont mis en évidence de nouveaux micro-organismes inconnus jusqu’alors**. Les nouvelles techniques de séquençage de l’ADN et de traitement des données ont également offert de toutes nouvelles possibilités d’interprétation et de compréhension des microorganismes.

En savoir plus sur l’étude
L’étude intitulée «Microbial acidification by N, S, Fe and Mn oxidation as a key mechanism for deterioration of subsea tunnel sprayed concrete» (acidification microbienne par oxydation de N, S, Fe et Mn en tant que mécanisme clé de la détérioration du béton projeté dans les tunnels sous-marins) a été publiée dans Nature Scientific Reports.

Les auteurs sont Sabina Kara?i?, Carolina Suarez, Per Hagelia (actuellement retraité de l’Administration norvégienne des routes publiques), Frank Persson, Oskar Modin, Paula Dalcin Martins et Britt-Marie Wilén. Premier auteur Sabina Kara?i?.

**Au cours de leurs travaux, les chercheurs ont découvert les Anammoxibacteraceae, une nouvelle famille de bactéries anammox, qui métabolisent l’azote. Cette découverte fournit de nouvelles informations sur la façon dont l’azote est métabolisé dans la nature.

Voir la publication scientifique https://doi.org/10.1111/1462-2920.16006

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