Quand aurons-nous un air d'avenir?

Par Marcel Tremblay

 

Vous êtes debout dans le salon, un café à la main. Par la fenêtre, vous voyez qu'il fait très froid et vous démarrer votre véhicule à distance. Quinze minutes plus tard, vous sortez et partez pour le travail. Savez-vous combien de gaz à effet de serre vous venez d'ajouter à l'atmosphère? Vous seul, pas beaucoup. Pour l'ensemble des véhicules québécois, ça fait plus de 33millionst/an.

Cette réalité est d'autant plus inquiétante lorsqu'on réalise que les vieux modèles sont responsables de la majorité des gaz à effet de serre évacués. Ces modèles représentent pour la grande région de Montréal près de 1,7 millions de véhicules légers. La seule façon de contrôler leur émission est de procéder à l'analyse de leurs gaz d'échappement lors du renouvellement des immatriculations.

C'est dans cet esprit qu'a été élaboré le programme québécois d'inspection et réparation des véhicules routiers "Un air d'avenir", calqué en grande partie sur le modèle ontarien. Les études et expériences concernant ce programme ont été finalisées il y a trois ans.

L'expérience ontarienne
Vous êtes à la maison. Le facteur vient déposer votre courrier dans la boîte aux lettres. Vous ouvrez l'enveloppe provenant du bureau des immatriculations. À votre renouvellement, on a joint un avis d'analyse des gaz d'échappement pour votre voiture. Vous n'êtes pas inquiet car vous l'entretenez régulièrement et elle n'a que trois ans. Mais, puisque cette analyse est obligatoire, vous devrez faire celle-ci au cours des 60 prochains jours.

Cette situation est celle vécue par tous les propriétaires de véhicules légers et lourds du sud de l'Ontario. Dans cette zone à forte concentration de smog et de pluies acides, on applique le programme "Air pur" depuis 5 ans. Tous les véhicules pesant moins de 4500 kg sont analysés aux deux ans à partir de la 3e année suivant l'année de leur fabrication et ce jusqu'à la 19e année. Pour les véhicules lourds, le test doit être passé à tous les ans.

Ça fonctionne comment?
Vous vous présentez donc dans un centre "Air pur". Un technicien insère un capteur dans le tuyau d'échappement qui, relié à un analyseur de gaz et à un ordinateur, mesure les quantités d'oxydes de carbone et d'azote ainsi que les composés organiques volatils. Les résultats obtenus sont comparés aux normes d'émission établies pour le type de véhicule analysé.

Comme vous l'espériez, votre voiture passe le test. On vous remet un certificat de conformité valide pour un an et votre résultat est envoyé immédiatement au bureau des immatriculations. Vous êtes d'autant plus satisfait que la personne avant vous a échoué. Elle devra faire réparer sa voiture avant de revenir au centre.

Depuis le début du programme, 12 millions d'analyses ont été effectuées sur près de 6 millions de véhicules légers immatriculés dans la zone. Le taux d'échec est de 15% pour ces véhicules et de 4% pour les 650000 examens faits sur les 200000 camions lourds. Pour ces camions, une patrouille anti-smog circule sur les routes. Celle-ci est autorisée à émettre des amendes et obliger les récalcitrants à procéder à des réparations, quand elle le juge nécessaire.

N'oublions pas les camions lourds car...
Les camions lourds ne constituent que 3% du parc automobile mais sont notamment responsables de 75% des particules fines émises, de 60% des oxydes d'azote et de 30% du gaz carbonique. Ces émissions aident à la formation du smog, un mélange de fumée et de brouillard sévissant au-dessus des concentrations urbaines.

Selon le Centre international sur le cancer, ces particules fines sont cancérigènes, mutagènes, toxiques et pénètrent profondément dans les poumons, provoquant toutes sortes de symptômes respiratoires. Le monoxyde de carbone quant à lui réduit la capacité du sang à transporter de l'oxygène et occasionne des maux de tête et des vomissements.

Pourquoi ne pas capter et stocker le CO2?
Le développement industriel des deux derniers siècles nous a amené à produire toujours plus de gaz carbonique ou CO2 qui demeure dans l'atmosphère pendant une période variant de 50 à 200 ans. En supposant que nous arrêtions à l'instant sa production, il faudrait longtemps avant qu'océans, sols et végétaux ne l'utilisent. Nous sommes en présence d'une bombe à retardement.

Ne serait-il donc pas salutaire pour l'environnement de pouvoir capter et stocker le CO2 dans un lieu où il ne nuirait plus? La réponse est évidemment oui. Nous pouvons le capter sous forme gazeuse, liquide ou solide et le stocker sous la mer ou l'injecter dans les puits de pétrole (c'est ce que fait actuellement en Saskatchewan) où il permet non seulement d'accroître la durée de vie des champs de pétrole, mais également d'en extraire davantage. Au cours des 25 prochaines années, on prévoit stocker ainsi 14 millions t de CO2, soit l'équivalent des émissions produites annuellement par 3,2 millions de véhicules.

D'autres voies possibles
À chaque année, les CO2 produits mettent en tutelle l'avenir de plusieurs générations. La nature a créé ce dont elle avait besoin en carbone pour se régénérer. La quantité qu'on ajoute à chaque année est un surplus inutile.

Vous marchez sur le trottoir. Lorsque vous arrivez à l'intersection du boulevard René-Lévesque et de l'avenue Papineau, le feu de circulation devient rouge. Vous traversez. Soudain, les moteurs des voitures s'éteignent les uns après les autres. À peine avez-vous mis les pieds sur l'autre trottoir que le feu devient vert. Presque simultanément, toutes les voitures redémarrent et repartent.

Imaginez les millions de tonnes de CO2 en moins si chaque véhicule circulant sur nos routes avait la même capacité technique. Utopique? Pas du tout. Cette technologie existe en Europe depuis des années. De loin en avance sur la nôtre, la Commission européenne de l'Environnement a légiféré, en collaboration avec les industries pétrolières et automobiles, pour appliquer le programme "Auto Oil" chez tous ses membres. Lancé en 1993, mais mis en application il y a 5 ans, ce programme touche autant la responsabilité des constructeurs que des pétrolières pour le soufre dans l'essence et les émissions de CO2 qu'ils ont fixé à 140 g/km à atteindre d'ici 2010. Ce travail de concertation a permis aux Européens d'obtenir une moyenne de 156 g par véhicule en 2002, soit l'équivalent d'une économie de 35 millions t de CO2.

Il suffit d'un peu de volonté
L'expérience prouve qu'un programme d'inspection et d'entretien des véhicules est viable pour l'économie, la santé et l'environnement. Malgré le manque de concertation observé au niveau québécois, force est d'admettre que la législation fédérale fait exception à ce laxisme politique en abaissant le niveau de soufre contenu dans l'essence à 30 ppM en 2005. Cette mesure fait suite à une étude où on relatait qu'une telle réduction pouvait notamment prévenir, sur 20 ans, 2100 morts prématurées, 90000 bronchites et 5 millions de morts reliées à l'incidence de l'asthme.

L'application du programme "Un air d'avenir" montrerait le sérieux du gouvernement québécois envers la santé de sa population. L'économie, l'environnement et la santé des générations futures ne peuvent qu'en bénéficier.


© InfraStructures - Tous droits réservés - All rights reserved