L'enfouissement un jour, l'enfouissement toujours !


Par Marcel Tremblay

 

Lors du Forum national sur la gestion des matières résiduelles 2003 tenu les 30 et 31 janvier dernier, les gens de l'industrie du recyclage révélaient que le secteur de la construction, rénovation et démolition (CRD) avait un des taux de récupération des résidus les plus bas.

Au Québec, l'industrie de la construction génère une activité économique des plus dynamique et florissante. En 2000, le secteur CRD a produit 2,75 Mt de matières résiduelles, soit plus de 25% de tous les résidus de la province. De ce volume, environ 1,17 Mt de matières ont été récupérées sur une quantité potentielle de 2,49 Mt, correspondant à un taux de récupération de 47,1%. Les agrégats de béton et d'asphalte ont représenté environ 1,1 Mt des matières récupérées.

Ce faible taux de récupération serait causé par les faibles tarifs offerts pour l'enfouissement et l'espace disponible dans les sites de dépôts de matériaux secs (DMS) pour accueillir ces résidus.

En effet, au Québec les coûts d'élimination des résidus du secteur CRD sont d'environ 20 $/t, ce qui est très bas. De plus, il est fréquent que les propriétaires des lieux d'élimination offrent des rabais pour s'assurer la fidélité des transporteurs, ce qui rend la récupération moins avantageuse financièrement.

Pour résoudre ce problème et pour atteindre les objectifs du Plan d'action québécois sur la gestion des matières résiduelles 1998-2008, qui fixe un taux de récupération de 60% pour le secteur des CRD, plusieurs pistes ont été proposées par les gens du recyclage lors des ateliers de travail.

Ces gens ont observé que l'incitation à la récupération dépendait de l'importance des chantiers de construction. Dans ce contexte, ils ont suggéré l'adoption d'un règlement qui obligerait les entrepreneurs à implanter des activités de tri à la source ou de diriger les résidus de CRD vers un centre de récupération.

Présentement, seuls la hausse des tarifs d'enfouissement et l'éloignement de ces sites incitent les transporteurs à aller vers un centre de récupération où certaines matières sont triées.

Pour soutenir davantage l'industrie du recyclage, il est également suggéré de maintenir le moratoire sur l'établissement et l'agrandissement des DMS, d'émettre un droit sur les résidus acheminés à l'élimination, de mettre en oeuvre un programme d'aide financière pour favoriser les activités de récupération sur les chantiers et de développer des marchés à meilleure valeur ajoutée pour les résidus de CRD.

Les agrégats de béton, d'asphalte et de brique constituent environ 77% du total des résidus de CRD. En normalisant les agrégats recyclés, le marché du recyclage serait en voie de se structurer et plusieurs usages seraient identifiés pour les produits conditionnés. Les résidus de bardeau d'asphalte constituent un exemple de la direction que souhaite prendre le gouvernement québécois par l'entremise de la société d'État Recyc-Québec.

 

Le bardeau d'asphalte
Dans le cadre de son programme de soutien à la recherche et au développement, Recyc-Québec a ainsi confié au Centre de recherche industrielle du Québec (CRIQ) la réalisation d'une étude de faisabilité sur la récupération et le recyclage des bardeaux d'asphalte.

Les bardeaux d'asphalte sont des plaques flexibles constituées de fibre de verre ou de cellulose imbibées de bitume oxydé (mélange d'hydrocarbures). À ces plaques sont ajoutés des granulats minéraux de différentes couleurs. Les bardeaux fabriqués au Québec ne contiennent pratiquement que des fibres de cellulose. Ces bardeaux sont généralement utilisés dans la construction ou la réparation de toitures. Une toiture faite de bardeaux d'asphalte a une durée de vie de 15 à 20 ans.

Selon Statistiques Canada, il s'est produit et livré au Québec, en 1999, plus de 7 millions de paquets de bardeaux d'asphalte, soit près de 240000 t. En estimant qu'il faille quelque 2 t de bardeaux pour recouvrir une toiture, la quantité de bardeaux d'asphalte jetée au rebut se situerait annuellement entre 170000 et 203000 t.

Dans la province, la majorité des rebuts manufacturiers (post-industriels) sont dirigés vers les sites DMS. Une faible proportion est acheminée à la compagnie Sintra inc., où des essais de broyage et d'incorporation de particules dans les pavages sont réalisés. Selon cette compagnie, ce procédé permettrait de recycler tous les rebuts manufacturiers produits au Québec.

Sintra inc. est la seule compagnie québécoise qui incorpore de façon industrielle les bardeaux d'asphalte dans le revêtement des chaussées. Elle a développé une technique de broyage qui permet d'obtenir des particules mesurant de 0 à 10 mm. Ces dernières sont incorporées dans l'enrobé des différentes couches de revêtement routier à une concentration de 3 à 5%. Depuis 2 ans, la compagnie teste l'usage des bardeaux d'asphalte post-industriels sur les routes du Québec. Les résultats des tests réalisés par les laboratoires du ministère des Transports du Québec confirment que les produits récupérés et recyclés répondent aux normes en vigueur.

Notons que les particules de bardeaux d'asphalte contribuent à la réduction du pourcentage de vide dans le béton bitumineux et, plus les particules sont fines, plus compact est le béton. En recyclant le bardeau dans le mélange bitumineux, on doit s'assurer que le produit fini conserve les caractéristiques du produit d'origine, c'est-à-dire de résistance à la déformation, de flexibilité, d'imperméabilité, d'uniformité et d'économie.

L'étude du CRIQ démontre que les bardeaux d'asphalte s'incorporent dans les bétons bitumineux destinés au pavage à chaud ou à froid des chaussées et au comblement de nids de poule et de fissures. Ils peuvent aussi servir comme matériau d'appoint pour la fabrication de nouveaux bardeaux d'asphalte ou être utilisés dans la construction d'aires de stationnement.

Présentement, les bardeaux d'asphalte post-consommation ne sont pas utilisés au Québec pour la construction ou la réparation des routes. La réglementation actuelle du ministère de l'Environnement du Québec (MENV) ne permet pas l'utilisation de ces bardeaux usés pour améliorer les routes en gravier. Selon le ministère, il y aurait un risque de contamination des sols par les hydrocarbures présents dans les bardeaux d'asphalte.

Selon M. Pierre T. Dorchies, de Sintra inc., il existe une possibilité d'introduire ces bardeaux usés dans la couche de base de revêtement. Pour ce faire, il faudrait concevoir un système de tri à la source qui permettrait d'enlever les contaminants. De cette façon, on pourrait garantir une formulation stable du produit fini.

Aucune technique de recyclage n'est parvenue au rang industriel. Ceci est dû aux coûts d'opération et au manque de valeur ajoutée des produits recyclés car, le développement des techniques de recyclage et leur succès sont directement liés à la qualité des produits obtenus et surtout à leurs débouchés.

L'étude du CRIQ démontre que les rebuts manufacturiers trouveraient une application réelle dans la construction des routes au Québec. Sintra a pris en charge ces rebuts en procédant à leur broyage avant de les incorporer dans les bétons bitumineux. Avec ce procédé, la compagnie est en mesure d'économiser 60000 barils de pétrole brut par an en produisant 350000 t d'enrobés à base de bardeaux d'asphalte à une concentration de 5% en poids. Notons que les bardeaux ainsi recyclés ne constituent que 10% de tous les bardeaux d'asphalte qui se trouvent dans les sites d'enfouissement.

Les bardeaux d'asphalte jetés au rebut représentent la plus grande partie des bardeaux qui sont accumulés dans les sites d'enfouissement. Présentement, ces résidus ne suscitent aucun intérêt commercial pour les entrepreneurs chargés du recyclage des déchets solides.

Pour favoriser la mise en marché de ces produits recyclés, le CRIQ recommande, notamment, de sensibiliser les compagnies de construction et de rénovation de faire un tri à la source, d'augmenter les coûts sur les sites d'enfouissement et d'exempter de taxe les produits de recyclage.

Toutes les technologies investiguées et/ou développées dans le recyclage de bardeaux d'asphalte post-industriels et quelquefois post-consommation se rejoignent sur l'idée d'utiliser les produits de recyclage dans la construction et la réfection des routes.

Selon les chiffres recensés par Recyc-Québec, il y a actuellement 65 lieux d'enfouissement sanitaire, 3 incinérateurs pour les déchets, 2 incinérateurs pour les boues, 325 dépôts en tranchées et 6 dépotoirs. Les coûts d'enfouissement, qui comprennent la collecte, le transport et l'enfouissement des déchets, sont en moyenne de 80 $/t. Quelque 600 entreprises se partagent la récupération des matières résiduelles au Québec.

 

La politique ne suit pas toujours le mouvement vert
Environ 75%, ou 1,6 Mt, ont été éliminés, principalement dans des DMS, et 25% des autres débris ont été acheminés vers des lieux d'enfouissement sanitaire ou d'autres lieux d'élimination. De plus, la réglementation actuellement en vigueur ne permet pas de récupérer les résidus sur le site.

À part les parcs de conteneurs, l'industrie du recyclage aimerait voir se développer les activités de "déconstruction". Il s'agit d'enlever du bâtiment les composantes pouvant être réutilisées dans le même bâtiment ou ailleurs. Au Québec, cette pratique se heurte à un contexte législatif contraignant. Les normes et décrets actuels régissant l'industrie de la construction exigent que l'exécution de ces travaux soit fait par des ouvriers détenteurs de cartes de compétences. Lors du Forum, on a suggéré une modification des décrets régissant les activités de déconstruction pour permettre l'embauche d'une "nouvelle catégorie" de travailleurs affectés à ces activités.

Le développement rapide de l'industrie du recyclage entraîne beaucoup de changements dans nos mentalités. Nos industries doivent suivre le rythme pour que les objectifs fixés par le Plan d'action québécois de gestion des matières résiduelles aient des chances de succès. Le secteur de la construction, rénovation et démolition est l'un des plus dynamiques et florissants de notre économie. Les indicateurs économiques montrent que cette industrie va continuer sur le rythme des dernières années. Or, jamais cette industrie n'aura un rôle aussi important à jouer que présentement pour le recyclage. Nos ressources sont rapidement épuisables, veillons à leur avenir en les préservant le plus possible.


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