Les grands chantiers du siècle : le tunnel sous la Manche



Par Sylvain Lafontaine

 

Cette chronique a pour mission de présenter de grandes réalisations humaines qui ont un impact significatif sur le développement de certaines régions du monde. Fin de siècle oblige, nous accorderons une importance particulière sur les projets qui ont marqué le 20e siècle tant par leur utilité que par l'ampleur des travaux nécessaires à leur érection.

 

Le Chunnel (tunnel sous la Manche) qui fut complété en 1994 est sans contredit l'une des plus belles réalisations de la dernière décennie. Reliant pour la première fois la Grande-Bretagne au reste du continent européen depuis l'époque de la dernière période glaciaire, le tunnel sous la Manche est venu concrétiser un grand rêve datant d'aussi loin que de la conquête de la Gaule par les Romains sous la gouverne de Jules César.

Sa construction a nécessité 7 ans de labeur et le coût des travaux a atteint plus de 5 000 000 $US par jour de travail. Près d'un quart de million d'esquisses ont été nécessaires pour la conception des plans du projet et le financement fut orchestré par plus de 220 banques. Le projet est d'autant plus impressionnant qu'il a fallu aplanir les différences entre deux codes nationaux de bâtiments différents et deux gouvernements.

Lors du début des travaux, un immense puits en béton de 55 mètres de diamètre et 65 mètres de profondeur a été creusé du côté français à Sangatte, près de la mer. En effet, le point de départ des principaux forages avait été fixé par les ingénieurs à 47 mètres sous la terre afin d'atteindre directement la couche de craie bleue malléable et imperméable à travers laquelle devaient être creusés les tunnels. De cet endroit, il fallait franchir les 37 kilomètres sous le détroit de la manche sans aucun puits intermédiaire, car la nature du terrain du côté anglais empêchait le creusage d'un puits. Pour creuser les tunnels de chaque côté de la rive, on utilisa simultanément des tunneliers, de gigantesques foreuses guidées par des faisceaux lasers reliés par satellite, de sorte que la jonction des tunnels s'est effectuée parfaitement. Ces monstres technologiques pesant près d'un millier de tonnes étaient dirigés par un équipage de cinquante hommes dont trois pilotes.

Chacune des tête de forage rotatives du tunnelier était munie de lames hérissées de grattoirs en tungstène permettant de broyer la craie à une vitesse de 3 mètres à l'heure. Une fois broyée, la craie était aspirée et liquéfiée sous pression et acheminée vers la tête du puits à travers de longues canalisations. Lors des travaux, plus de 7000000 m3 de déblais furent excavés.

Le tunnel sous la Manche est composé de trois tunnels distincts: deux pour la circulation ferroviaire et un troisième central pour l'accès des secours et la maintenance. Chacun des tunnels est doté de nombreux équipements : des systèmes de drainage, de refroidissement par eau et de ventilation, rails et alimentation électrique, contrôle informatique et dispositifs d'éclairage. Les trois tunnels sont reliés entre eux tous les 375 mètres par des rameaux transversaux qui peuvent être obturés par de massives portes coupe-feu en cas d'incendie et à tous les 250 mètres par des conduits plus petits qui permettent ainsi d'équilibrer la pression de l'air lors du passage d'un train. À chaque tiers du trajet, des croisements transversaux ont été prévus pour permettre aux trains de changer de voie lors d'incident et ainsi ne pas cesser complètement l'exploitation du tunnel si par malheur une voie n'était pas opérationnelle.

D'ailleurs, en matière de sécurité, on peut affirmer que le tunnel sous le manche a véritablement subi son premier test le 18 novembre 1996 alors qu'un incendie s'est déclaré sur une navette de fret qui circulait dans un tunnel, provoquant des dommages totalisant plus de 760 000 euros. Heureusement, l'incident n'a causé aucune perte de vie, démontrant l'efficacité du système d'évacuation et de sauvetage du tunnel.

La circulation à l'intérieur du tunnel est accaparée par trois types de trafics : il y a les TGV Eurostar pour le transport de passagers, les trains de marchandises, et les navettes frets (surnommés shuttle), utilisées par les passagers motorisés. La traversée se fait en une trentaine de minutes. Évidemment, le trajet plus court pour les passagers de l'Eurostar (ces trains circulent normalement à une vitesse de 300 km/h) dont la vitesse est limitée à 160 km/h à l'intérieur du tunnel.

C'est la compagnie Eurotunnel qui s'est vue octroyer une concession de 65 ans pour exploiter le tunnel, jusqu'à ce qu'il devienne la propriété des États français et britannique. Déjà en 1998, l'Eurotunnel s'est accaparé près de la moitié du trafic transmanche, permettant à la compagnie d'obtenir un bénéfice d'exploitation. Sans contredit, l'Eurotunnel est un succès à presque tous les niveaux et mérite une mention honorable à titre de plus grande réalisation de ce siècle.

 

Références :

Série Les grands chantiers du siècle :


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