AlpTransit St-Gothard : le plus long tunnel ferroviaire au monde


 

 

Par Jean-François Villard

 

 

L'idée de percer un tunnel traversant le massif du St-Gothard n'est pas nouvelle ­ une première ébauche date de 1947. Mais ce n'est qu'un demi-siècle après le premier projet de 1962 que le plus long tunnel ferroviaire du monde sera effectivement être mis en service.

Le groupe d'étude du tunnel du St-Gothard créé par le Département fédéral de l'intérieur élabora en 1962 le premier projet de tunnel traversant le massif du St-Gothard. Il s'agissait d'un tunnel à voie unique qui reliait Amsteg à Giornico en ligne droite. Sa longueur était de 45 km et il comprenait en son milieu une voie de dépassement. Les trains devaient pouvoir y circuler à une vitesse maximale de 200 km/h.

Les éléments du projet de cette époque ont subi de profondes modifications, notamment sur le système de galeries le plus approprié. La commission chargée des tunnels ferroviaires à travers les Alpes au Département fédéral des transports, des communication et de l'énergie parvint à la conclusion, dans le rapport qu'elle publia en 1971, qu'un tunnel à deux voies éventuellement subdivisé par endroits en deux galeries à voie unique constituerait la meilleure solution. Le choix entre une galerie à deux voies avec un tube de service ou deux galeries à voie unique (avec ou sans tube de service) n'a toutefois été adopté qu'en 1995.

Une solution mixte l'a finalement emporté. Il s'agit de deux tunnels à voie unique sans galerie de service, mais toutefois dotés de deux stations multifonctions, de diagonales d'échange et de 180 rameaux de communication, de sorte que chacun des deux tunnels puisse servir de tunnel de secours à l'autre en cas d'incident.

La AlpTransit Gotthard SA, filiale à 100% des CFF (Compagnie des chemins de fer fédéraux), a été fondée le 12 mai 1998 afin de réaliser la nouvelle ligne ferroviaire à travers les Alpes comprenant les tunnels du St-Gothard, du Zimmerberg et du Ceneri.

L'histoire du St-Gothard
Jusqu'à l'intervention de la puissance de Rome, les réseaux de communication en Europe se sont limités à des travaux de petite envergure. Cependant, des découvertes archéologiques attestent que les principaux cols transalpins étaient déjà utilisés à l'âge du bronze. Le passage du col du Simplon et du Grand-Saint-Bernard profitaient aux peuplades qui les contrôlaient. D'abord parce qu'ils faisaient payer un droit de passage, ensuite parce qu'ils pouvaient héberger voyageurs et marchandises et profiter de cette présence pour s'approvisionner en denrées diverses que l'on ne trouvait pas dans la région.

Avant d'être défait en en 202 av. J.-C., le général carthaginois Hannibal avait mené une campagne à travers les Alpes dont le succès retentissant attisa l'intérêt des Romains pour cet obstacle naturel. César ordonna la création d'une voie passant par le Petit-Saint-Bernard. Auguste, désireux d'étendre les possessions romaines jusqu'à l'Elbe et au Danube ordonna une campagne en 16 av. J.-C. qui visait à soumettre la Rhétie, c'est-à-dire les Alpes occidentales (Grisons et Autriche). Une fois la région de Constance atteinte par les cols du Splügen, du Septimer, et du Julier et la jonction faite avec les armées du Rhin, les soldats purent encercler ce qui restait de Rhètes indépendants et les Vindélices leurs voisins, assurant ainsi à Rome un solide bastion dans le nord des Alpes.

Beaucoup plus tard, l'Empereur Napoléon 1er construira la route du Simplon.

Le Gothard, dont le col culmine à 2108 m, est un passage abrupt, austère, sauvage, coupé de gorges profondes, et sujet à de fortes avalanches.

Avant le XIIIe siècle, le trafic par le col du St-Gothard était insignifiant, et ne débordait qu'exceptionnellement le cadre régional. Les Romains connaissaient ce passage, mais il est possible que le colossal obstacle naturel des Schöllenen les ait dissuadés d'aménager une route de transit par-dessus le Gothard.

Le franchissement des Schöllenen est déterminant puisque c'est lui qui va rendre possible le développement du passage par le col du Gothard. Forcer les Schöllenen, signifiait ouvrir une voie carrossable au trafic muletier. À l'endroit le plus resserré à l'extrémité de la gorge, où la Reuss s'engouffre entre les falaises verticales du Bäzberg et du Kilchberg, les gens de la vallée ancrèrent dans la paroi du Kilchberg une passerelle de 60 m de long, surnommée Twärrenbrücke. Un peu en aval, un pont de bois, le Stiebende Brücke, fut hissé au-dessus du gouffre béant de la Reuss. C'est un peu plus tard que le trou d'Uri fut amménagé. Ce passage fut en effet creusé dans la roche de façon à franchir l'obstacle que constituait la chute de la falaise à cet endroit dans le torrent.

L'ouverture de cette nouvelle voie de transit eut plusieurs autres conséquences quasi-immédiates. D'abord, les vallées voisines sortirent d'un isolement millénaire. Ensuite, divers postes de péages fleurirent la route Milan-Bâle.

Le premier règlement de transport pour les muletiers d'Urseren date de 1363. Les muletiers étaient regroupés en 9 corporations qui régissaient l'entretien des chemins et ouvrages d'art, ainsi que la répartition du parcours entre les transporteurs des diverses régions. Des entrepôts et relais sûrs leur permettait d'offrir des garanties aux marchands qui confiaient leurs marchandises aux muletiers moyennant le paiement d'un droit.

La voie du Gothard devint une route postale en 1494 lorsque l'empereur Maximilien Ier chargea son maître de poste, d'instituer une ligne régulière parallèle à celle principale du Brenner.

Une route carrossable, en service dès 1830, se révéla un succès évident. Aux caravanes de mules se substituèrent bientôt des guimbardes à quatre roues, tirées par des chevaux.

La navigation sur le lac des Quatre-Cantons et le lac Majeur s'améliora également, puisqu'en 1837, le pyroscaphe Ville de Lucerne, premier bateau à vapeur du lac, fut mis en service.

Dès le milieu du XIXe siècle, la construction d'une voie ferroviaire en Suisse selon l'axe nord-sud fut envisagée, mais l'idée de la faire passer par le Gothard ne naquit pas avant que l'Italie n'ait réalisé son unification en se libérant du joug autrichien (1865, bataille de Solférino) avec l'aide de Napoléon III, ni avant que l'on fut convaincu de la faisabilité technique de l'ouvrage.

En 1869, le projet du Gothard fut adopté à Berne lors d'une conférence réunissant l'Italie, la Confédération de l'Allemagne du Nord, le pays de Bade, le Wurtemberg et la Suisse. La ratification de la Convention du Gothard se fit le 28 octobre 1871. La Compagnie du Gothard, constituée le 6 décembre 1871, disposait d'un capital de 187 millions CHF.

La Compagnie désigna l'Allemand Robert Gerwig responsable de la direction technique pour les tronçons Goldau-Göschenen et Airolo-Chiasso. C'est sur ces tronçons que se trouvent les différents viaducs ainsi que les 7 tunnels hélicoïdaux. Les travaux de construction du grand tunnel furent mis en soumission publique le 5 avril 1872 et le Contrat concernant l'exécution du grand tunnel du Gothard fut signé entre la compagnie et l'entrepreneur genevois Louis Favre.

Le 1er janvier 1882, la pose de la première voie fut achevée, et à la fin du printemps, les deux rampes d'accès l'étaient également. La ligne fut mise en service le 1er juin 1882. Elle avait coûté 227 millions CHF et la vie de 307 ouvriers. La part du tunnel lui-même était de 66600000 CHF, mais il faut remarquer que le tunnel du Mont-Cenis, mis en service en 1871, long de 12 km, avait nécessité 14 ans de travaux, alors que la construction du tunnel du Gothard, long de 15 km avait duré à peine plus de 9 ans.

Le trafic dépassa rapidement les prévisions les plus optimistes, et aujourd'hui encore se poursuit la course aux améliorations techniques pour adapter sans cesse la capacité de la ligne à une demande sans cesse croissante.

Le projet AlpTransit prévoit le percement d'un tunnel par le Lötschberg, ainsi que le percement d'un nouveau tunnel sous le Gothard, le "Basistunnel", dont la construction poserait un énorme défi technique étant donné la profondeur de creusement.

Le tunnelier (TBM) utilisé mesure 440 m de long et dispose de tous les équipements nécessaires à l'excavation et à la consolidation de la roche. Les performances dépendent évidemment des conditions géologiques, mais on escompte un avancement moyen de 10,4 m par journée de travail. La distance totale excavée au tunnelier dans le tunnel du St-Gothard sera de 50 à 57 km.

Le TBM a été commandé auprès de l'entreprise allemande Herrenknecht. Après sa fabrication, le grippeur à blocage simple dont le diamètre atteint 9,58 m et le poids plus de 3000 t a été démantelé en près de 94000 pièces détachées pour être finalement transporté à Amsteg. Par la suite, le tunnelier a été remonté dans la caverne de montage Ouest et le train suiveur du tunnelier a été livré par la société Rowa Tunneling Logistics AG. Celui-ci dispose de tous les équipements logistiques nécessaires à l'avancement.

"Journée portes ouvertes sur les chantiers" de Faido
Le public a marqué un grand intérêt pour les "journées portes ouvertes sur les chantiers" organisée par AlpTransit Gotthard AG. Le samedi 30 août dernier, plus de 4500 personnes venues de Suisse et des pays avoisinants se sont rendues sur le chantier NLFA dans le canton d'Uri.

Les travaux de construction du plus long tunnel du monde pouvaient être suivis de tout près. Les visiteurs ont eu l'opportunité de visiter le tunnelier S-230 dans la galerie Ouest du tunnel. Sur le chantier externe, les visiteurs ont pu explorer le site de gestion du matériel, la station d'épuration ainsi que le village de chantier.

 

Série Les grands chantiers du siècle :


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