Les commandes et l’ergonomie en cabine

Jean-Jacques Roussel, Nordaxe Innovations Inc.
Collaboration spéciale


 

Comme je l’ai déjà écrit dans cette revue (Où va la machinerie Hivernale au Québec?) en août 2009, l'absence d'uniformité dans les commandes frappe lorsqu’on monte dans différents camions de déneigement. Et pourtant la conduite d’un chasse-neige dans une tempête requiert une attention très soutenue et des gestes d'adaptation continuels!
Ayant contribué il y a 15 ans à l’élaboration d’une norme française sur l’implantation en cabine des commandes d’équipements d’entretien, je voudrais vous faire part de quelques principes qui pourraient faciliter et sécuriser les manœuvres des opérateurs, limiter la fatigue et les risques corporels à long terme.

Introduction
La conduite de la machinerie hivernale requiert quasi en continu de nombreuses actions :

  • l'observation permanente de la route dans des conditions de visibilité souvent réduites;
  • le suivi des manoeuvres des usagers pas toujours disciplinés;
  • l’observation de la zone de travail et des obstacles souvent invisibles;
  • la maîtrise d'un véhicule au gabarit très particulier et aux charges anormales sur une surface souvent glissante;
  • et bien sûr le contrôle et l’ajustement des équipements opérés (grattes, épandeuse).

Dans les zones urbaines et à forte circulation, la complexité et la rapidité des manœuvres à assurer requièrent, outre une excellente visibilité, une synchronisation parfaite entre l’opérateur et les commandes.

On comprend qu'une ergonomie uniforme et optimale favoriserait la rapidité et la justesse des gestes que l'opérateur doit continuellement poser. Une implantation uniforme des commandes en cabine où chaque fonction aurait une place et une forme similaire améliorerait grandement la sécurité et l’efficacité du travail tout en favorisant l'apprentissage et la prise en main d'un nouveau matériel. Elle concourrait en outre à rehausser l'intérêt pour ce travail difficile et limiterait les dégâts de toutes sortes tant sur le matériel que sur les infrastructures.

Nous ne parlons pas ici des commandes liées à la conduite du véhicule de déneigement dont les constructeurs maîtrisent déjà très bien l'ergonomie. Nous focaliserons sur les activités de commande et de contrôles des équipements utilisés en déneigement.

Concevoir le poste de travail en fonction du travail de l’opérateur
Pour concevoir un poste de travail, on doit prendre en compte et rendre cohérents entre eux les éléments concourants à la tâche d'acquisition d'informations, essentiellement visuelle, et à la tâche d'action essentiellement assurée par la main droite dans un poste de conduite à gauche.

L'atteinte visuelle Pourquoi les yeux devraient-ils quitter la route pour se tourner vers l’écran du contrôleur électronique d'épandage ou pour sélectionner une manette de chasse-neige dans toute une rangée? Poser la question, c’est y répondre!

La direction du regard et la distance «oeil - tâche visuelle», que l'opérateur devra réduire si le détail est trop fin, peuvent avoir une influence très négative sur la position et la rotation de la tête et du corps. En outre, il ne faut pas omettre d'examiner leur interaction avec les efforts et/ou l'atteinte manuelle.

La vision de l’aire de travail des équipements est un point essentiel. Les opérateurs qui ont la chance d’utiliser un camion à cabine avancée (cabover) vous en diront quelque chose! Mais cette aire de travail est immense si le véhicule est équipé d'une, voire de deux ailes de côté et d'une épandeuse. Des accessoires de nettoyage du pare-brise et des rétroviseurs efficaces et non perturbés par la neige sont indispensables. Par exemple pourquoi les camions de déneigement ne sont-ils pas équipés d’emblée d’essuie-glace dont l’axe est en haut du pare-brise afin d’empêcher toute accumulation de neige et limiter les bris?

En cabine, l’affichage des données d’épandage sur le tableau de bord et proche de l'axe de vision naturel réduit le temps de perte de vision de la route. Il faut veiller à la lisibilité de ses indications dans des conditions d’éclairement très variées (nuit, jour blanc, soleil éblouissant). Mais la vérification de l'écoulement du matériau devrait se faire par un dispositif automatique à alerte sonore surtout depuis que les taux de sel sont en baisse !

L'atteinte manuelle L'atteinte manuelle des commandes doit s'effectuer sans nuire au confort au niveau des articulations entre les différents segments du bras droit de l'opérateur. Les dimensions retenues doivent être compatibles avec la dispersion des mensurations des individus.

Elle doit être possible en adoptant et en maintenant une posture normale qui s'écarte peu de la posture de référence c'est-à-dire tronc droit, ni penché, ni en rotation, avant-bras et mains en avant et plus bas que les épaules et au-dessus de la ceinture. Des commandes disposées maladroitement en cabine vont produire un effet d'inconfort dont la résultante peut être à long terme une cause de diminution du potentiel de travail.

La position des commandes dans le volume de travail de l'opérateur est fonction de la fréquence et de l’urgence d’emploi de l’équipement correspondant. Les commandes des grattes seront dans la zone la plus accessible de la main (un seul mouvement de l’avant-bras), les manettes de l’épandeuse pourront être dans une zone intermédiaire (deux mouvements combinés sans soulèvement de l’épaule), la radio et la commande de boîte automatique pourront être repoussée dans une troisième zone d’atteinte nécessitant plus de mouvements et de temps.

Choisir le véhicule en fonction de ces critères
On comprend donc que ces principes devraient influencer le choix même du véhicule de déneigement. La visibilité avant et latérale et la possibilité d'implanter idéalement les commandes dans la cabine de la bonne manière devraient être des critères de choix essentiels du camion porteur.

On peut tout de même noter le grand intérêt de la boîte automatique, au-delà de ses qualités pour la motricité, pour le dégagement qu’implique l’absence de levier de vitesse au plancher. À condition que le boîtier de commande de la boîte automatique ne soit pas installé à la place idéale pour la commande des grattes !

Bien concevoir les commandes Outre leur emplacement défini par l'atteinte manuelle, les commandes doivent répondre à des critères précis.

Mouvements des commandes Sauf cas particulier, le mouvement des commandes par rapport à leur position neutre devrait s'effectuer dans la même direction générale que le mouvement qu'elles commandent.

La puissance permettant le mouvement de l’équipement devrait être transmise aussi longtemps qu'une action est exercée par l’opérateur sur la commande, et s'interrompre automatiquement aussitôt que cette action cesse.

Les commandes maintenues en position de puissance, mais équipées d'un dispositif de disjonction automatique, seraient permises.

La mise en mouvement intempestive des équipements ne devrait pas être possible, en particulier sur les véhicules équipés de levier permettant le changement de vitesses ou l'inversion du sens de marche sans effectuer de débrayage. Un système de verrouillage en position neutre devrait être prévu au niveau de l'inverseur ou de la transmission, de telle sorte que le déverrouillage résulte d'un acte volontaire de la part du chauffeur.

Toutefois, sur les véhicules à transmission hydrostatique, la condition précédente pourrait être considérée comme remplie si les leviers étaient munis d'un protecteur adéquat.

Un schéma des commandes montrant leur position, leur fonction et leur sens de mouvement devrait être placé de manière lisible près de l'opérateur.

Efforts à exercer Les efforts à exercer sur les commandes prennent en considération aussi bien les efforts nécessaires à la commande des différentes fonctions (gratte, aile, etc) que ceux dépendants de la conduite du véhicule dans des conditions toujours exceptionnelles.

Suivant le type d'effort (sens et direction : tirer ou pousser) et sa fréquence, l'exigence varie beaucoup. Un effort trop intense, pour être effectué dans la posture normalement prévue à cet effet, conduit l'opérateur à rechercher une posture plus adaptée à l'effort et à lui donner la priorité, altérant ainsi le confort postural initialement recherché.

Les efforts nécessaires aux commandes doivent répondre à des normes ergonomiques strictes. Des forces maximales (par exemple 230 N pour un levier avant / arrière) ne doivent jamais être dépassées en situation normale.

Toutefois, ces seuils maximaux peuvent être dépassées pour une commande en cas d'urgence. Le sens de la force doit être référencé par rapport à la position du conducteur lors de l'actionnement de la commande.

Forme des commandes Au-delà des critères de mouvements et de forces, la forme même des commandes pourrait faire l'objet d'un minimum de standardisation. Par exemple, la forme «manette de jeux» qui regroupe tous les mouvements des grattes sur la même manette est de plus en plus prisée par les nouvelles générations et devrait facilement s'imposer comme un standard dans la profession.

Conclusion
Ces principes simples et documentés devraient être appliqués par les monteurs d'équipements de déneigement.
La seule manière d'obtenir des résultats homogènes quelque soit les fournisseurs est de les asseoir à une table de normalisation avec des clients et quelques experts indépendants.

Ce travail pourrait aboutir en 2 ou 3 ans à ce que tous les nouveaux véhicules de déneigement soient semblables au niveau des commandes.

Si ce travail n'est pas engagé rapidement, des camions rouleront encore en 2030 avec des commandes aussi variées qu'inadaptées. Serons-nous alors en mesure de trouver de jeunes chauffeurs pour les conduire?


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